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Le musée idéal de Michel Redoux, artiste peintre


Qui n'a pas rêvé d'avoir chez lui les œuvres qu'il admire ?
Avoir son musée personnel avec ses toiles préférées, ce rêve, Michel Redoux l'a réalisé.
Aujourd'hui, le musée des Beaux-Arts de Lyon a repris deux de ses œuvres sur sa page Instagram, Les Baigneuses à Biarritz et Deux femmes courant sur la plage, de Picasso. Une vraie consécration pour cet artiste peintre tout en modestie.
Michel nous reçoit chez lui, dans son atelier baigné de lumière. Sur la table, des livres, des tubes de peinture à l'huile, tout autour, sur les murs, sur les meubles, nous sommes immérgés dans son monde de couleurs, des dizaines de tableaux des Picasso, des Matisse, des van Dongen, des Lhote, des Gauguin, de nombreux expressionnistes allemands... Un rêve coloré éveillé...

M.D : Qui êtes-vous, Michel Redoux ? Et quel est votre talent caché ?
M.R : J'étais conseiller principal d'éducation, et j'ai eu la chance de travailler dans un lieu historique, le lycée Ampère. Passionné d'histoire, je me suis penché sur l'évolution du site au cours des cinq siècles de son existence et j'ai eu le plaisir d'organiser des visites de ces bâtiments, notamment pour l'association DCLC.
L'histoire est donc une de mes passions, mais après avoir cessé de travailler une autre passion est apparue, une passion pour la peinture. J'ai été inspiré et accompagné par mon épouse qui dessine beaucoup, c'est ma conseillère technique. Et un jour, je me suis lancé...

Portrait de Dora Maar d'après Picasso
Depuis longtemps l'œuvre de Picasso m'attirait, me fascinait. J'éprouve un grand interêt pour le côté vif de sa peinture, je suis toujours à la recherche de la couleur, de sa profondeur, j'ai commencé à reproduire "le Rêve" de Picasso. Je l'ai exécuté en plusieurs dimensions sur du papier aquarelle. Puis on m'a offert un coffret de peinture à l'huile, j'ai pris mes pinceaux et j'ai reproduit le portrait de Dora Maar.
Je me suis aussi essayé au dessin, comme ce grand format représentant ma vision de la ville de Lyon que j'ai réalisé aux crayons aquarelle et à l'encre de Chine.
M.D : Dans ce dessin de Lyon, le côté graphique, presque B.D ressort plus que la couleur, maintenant que vous avez plus de temps disponible, vous êtes revenu à votre premier amour ?

Monuments emblématiques
de Lyon - Michel Redoux
M.R : Oui, maintenant que j'ai du temps, je me suis remis à la peinture, et j'ai recommencé par Picasso.
Il a interpellé le monde, on pouvait enfin le voir d'une autre façon, avant on avait besoin d'une photo en peinture, c'est à dire du figuratif tant que la photo n'existait pas. En Occident, au XIXème siècle, quand elle est arrivée on pouvait enfin s'éloigner du figuratif et déconstruire la réalité. C'est ce que Picasso a fait, influencé également par les arts dits "premiers" et la spontanéité de l'enfant.
M.D : Pourquoi avoir choisi la peinture comme mode d'expression ?
M.R : Je suis un ancien photographe, je développais mes photos, faisais mes tirages N/B. Avec la photo, le tirage N et B, on fait se révéler l'image, et la peinture c'est un peu la même chose pour moi. On part d'une feuille blanche, d'une toile blanche, et petit à petit, on va y faire un dessin.
Pour l'instant je n'ai pas trouvé mon style, mon style c'est de copier. Mais en fait on copie toujours quelque chose, quel que soit l'artiste, il va copier la nature, il va copier une image qui est dans sa tête, eh bien moi, je copie l'artiste.
Tout en sachant que la peinture que je vais faire, même si je pars de ce qui a été fait, aura une ressemblance mais ce ne sera pas la même chose.
Il y aura toujours une différence et même une grande différence, les couleurs ne seront pas les mêmes, il y aura aussi des défauts, et mon interprétation.
M.D : C'est plus une interprétation qu'une copie donc ?

La Méduse d'après Alexej von Jawlensky
(original au Musée des Beaux-Arts de Lyon)
M.R : Au lieu de partir avec mon chevalet et mes tubes de peinture dans la nature, je prends un tableau et je le décripte, puis je le reproduis avec mes sentiments, ma sensibilité.
MD : Cela peut paraître simple mais en fait c'est très complexe de partir d'une œuvre, de la réintérpréter ?
MR : Oui, il y a de nombreuses difficultés, par exemple on part dans l'idée de faire quelque chose mais on peut se planter, d'ailleurs on se plante souvent et c'est ce qui fait le côté sympathique de la chose. C'est en se trompant qu'on va pouvoir évoluer. C'est vrai que lorsque je reprends mes premiers tableaux, je me dis ouhlala ! J'ai commencé avec des pinceaux un peu grossiers, je ressentais un besoin de peindre, une urgence de peindre, ma peinture avait 20 ans, elle était sèche, alors je rajoutais de l'huile de lin...
MD : La création dans des conditions techniques difficiles ?
MR : Pour mon premier tableau, je n'avais pas investi dans les outils et j'ai vraiment commencé en situation de crise.
MD : Ce qui est intéressant dans cette démarche, c'est de ne pas partir de votre propre vision, de votre propre perception, mais déjà d'une réinterprétation de quelque chose, que ce soit du figuratif ou pas, mais déjà à travers le regard de quelqu'un. Il y a donc un premier filtre. Qu'est-ce qui fait que c'est cela qui vous intéresse, de reprendre une œuvre à travers le filtre d'un autre, l'œil d'un autre, donc de la sensibilité d'un autre ?
MR : Oui, c'est exactement ça, il y a déjà le filtre de l'artiste. On se retrouve un peu sur ses pas. Copier c'est un peu retrouver le regard de l'artiste qui a décrypté le monde. C'est se mettre à sa place, se retrouver face à cette vision codée qu'il avait. Par exemple, si je reprends Picasso, tout est codé. Donc je décode un petit peu ce qu'il a fait et je retombe un peu sur les pieds de l'artiste, ce qu'il a vu, lui, dans le sujet.
MD : Cela demande du temps, des recherches pour comprendre l'artiste que l'on veut copier, vous laissez-vous guider par votre sensibilité ou par une démarche intellectuelle ?

MR : C'est plus le sensible, je pars du coup de foudre. Je vais feuilleter des livres, des catalogues d'expos et à un moment donné mon regard est attiré par une œuvre. Je vais petit à petit la porter, je la fais mûrir en moi, et puis je la mets sur la toile au crayon. Souvent, je fais quatre, cinq toiles au crayon d'avance. Je prépare mes toiles et une fois que je suis statisfait je vais me mettre à peindre, et peu à peu pour revenir à la comparaison avec la photo, les couleurs vont révéler la toile qui va naître.
MD : Est-ce que cette toile naît par la couleur ou est-ce le dessin le plus important ?
Le dessin est-il submergé par la couleur ?
MR : Le dessin va être mangé par la couleur petit à petit. La toile dans un premier temps n'est pas belle. C'est comme un négatif. Il y a des couleurs qui sont posées mais ce sont les dernières heures de travail de finition qui vont lui donner sa dimension. Jusqu'au bout, quand on peint, on n'est pas satisfait de son travail. On trouve que ce n'est pas beau, je me demande ce que je vais faire de ça, où est-ce que je vais. Ce n'est pas comme la photo où on a tout de suite le résultat, encore plus avec le numérique. Là, il va falloir y mettre du sien et du temps. Donner du temps au temps pour avancer doucement. Et puis, il y a des couleurs qui ne me plaisent plus assemblées, alors je retouille mes primaires et je repasse par dessus. Le principe de la peinture à l'huile, et c'est ce que j'aime, elle sèche lentement. Cela permet de revenir quelques heures après, parfois même le lendemain sur la toile et la reprendre. Alors qu'avec l'acrylique, un quart d'heure après c'est foutu !
C'est un bien et un mal, car il faut être patient.
MD : Au niveau de la technique, utilisez-vous encore d'autres techniques comme l'aquarelle ou l'acrylique ?
MR : Je préfère défintivement l'huile pour ses qualités intrinsèques. Elle laisse des heures devant soi. Même les pinceaux de la veille n'ont pas séché, on peut les reprendre et ajouter un peu d'huile de lin, ce qui fait que même le pinceau va garder la mémoire de la dernière touche.
MD : Quels tableaux vous ont donné le plus de fil à retordre ?
Ce qui me paraissait le plus difficile, c'étaient les portraits. Et finalement, ce n'est pas le cas. Sur un portrait, je travaille les ombres, je ne veux pas atteindre la perfection des grands maîtres. Je fais une peinture qui va me satisfaire.
La Dame à l'hermine d'après Leonard de Vinci
La Dame à l'hermine
d'après Leonard de Vinci
Portrait de femme en vert d'après Jean Metzinger
Portrait de femme en vert
d'après Jean Metzinger
La Jeune Fille à la perle d'après Johannes Vermeer
La Jeune Fille à la perle
d'après Johannes Vermeer
Parfois je reviens dessus. Par exemple, Egon Schiele, je suis revenu sur le fond pour faire sortir davantage les personnages. Je me replonge dans le tableau.
Souvent sur les premiers Picasso, que j'avais fait avec mes vieux pinceaux, je suis revenu sur la toile avec des pinceaux plus fins. Ma technique s'est affinée avec le temps. J'ai appris à utiliser des pinceaux longs avec la courbure desquels on peut faire certaines choses impossibles à faire avec des pinçeaux courts. Selon le pinceau qu'on va utiliser cela va nous ammener à autre chose, à affiner.
MD : Votre couleur préférée ?
MR : J'aime bien le rouge, mais en fait toutes les couleurs primaires, et j'aime travailler avec elles.
Je me suis acheté mille et une couleurs mais en fait je les utilise rarement. Je vais faire mes couleurs avec les primaires dans 90 % des cas. Le pinceau va me permettre d'ajuster les pigments que je dépose sur la toile.

D'après "Le Rêve" de Picasso
MD : Picasso était à l'origine de votre passion et à voir le nombre d'œuvres qu'il vous a inspirées, il semblerait que ce soit toujours le cas ?
MR : Oui, certainement. Je me suis amusé à comptabiliser mes œuvres et sur 90 interprétations, il y a 26 œuvres inspirées par Picasso, donc plus d'un quart...
Picasso, on vient vers lui, à un moment donné on a besoin de le laisser de côté et puis on y revient toujours. Même si ma période de prédilection est la fin du XIXème et le début du XXème, j'aime la couleur donc Gauguin, Modigliani, l'Expressionisme me touchent...
MD : Mais pourquoi Picasso à l'origine, qu'est-ce qui vous parle chez lui, comment son œuvre vous touche ?
MR : Principalement sa déconstruction du monde et ses couleurs. Ces couleurs qui ne sont pas vraiment réelles et qui amènent à autre chose. On est tout de suite dans un rêve avec Picasso, on n'est plus dans la réalité. On est dans une autre dimension du monde et c'est ce que je trouve fabuleux chez lui, mais derrière le génie Picasso était un monstre.
MD : Que ressentez-vous quand lorsque vous peignez, quel est votre état d'esprit ?
MR : De l'impatience, il y a un peu de frénésie de peindre, de voir ce que je peux faire, de voir le résultat. Une envie d'arriver vite au but mais on est obligé de respecter les étapes. Cette envie d'avancer, c'est replacer le temps dans sa dimension et ne pas aller trop vite, de laisser faire les choses, de ne pas faire plus vite que la partition.
MD : Comment savez-vous quand vous devez vous arrêter ? Il y a toujours la tentation d'être plus perfectionniste, et même si c'est une interprétation, n'y a-t-il pas cette envie d'aller au plus près de l'original ?

MR : À un moment donné je me dis cette œuvre me convient, je ne peux pas aller plus loin, sauf si parfois je la laisse mûrir et que je la retravaille. Mais la difficulté c'est de retrouver la couleur exacte. Donc je refais mes mélanges et quand je ne retrouve pas tout à fait la teinte je refais tout et après je me dis c'était mieux avant ! Une nouvelle de Balzac "Le Chef-d'Œuvre Inconnu" nous montre les limites dans la recherche de la perfection et la subjectivité de l'artiste aveuglé par son œuvre.
MD : En moyenne combien de temps prend un tableau ?
MR : Cela peut aller d'un jour, à plusieurs, parfois à des semaines d'intervalle.
Je travaille surtout sur des toiles de petit format (35 X27 cm).
Paradoxalement, les tableaux cubistes vont me demander plus de temps que le figuratif. Ils sont beaucoup plus complexes qu'il n'y paraît. Il y a toute une précision que l'on ne voit pas au premier abord.
J'ai fait un Mucha, j'en ai bavé, c'est beaucoup de temps !
MD : Une centaine de tableaux, c'est impressionnant, avez-vous déjà exposé ?

D'après "Rêverie" de Mucha
MR : Non, je n'en ai pas forcement l'envie ! Je les partage sur Instagram.
MD : En discutant avec vous, j'ai un peu l'impression que vous vous constituez votre musée personnel ?
MR : C'est ça, c'est mon petit musée, mon domaine personnel. Même si je fais parfois des toiles sur commande, pour ma famille, mes amis...
MD : En voyant vos toiles, le côté "copie" disparait, vous réinterprètez l'œuvre originale, vous vous l'appropriez pour la récréer en quelque sorte. Vous mettez de la couleur où il n'y en avait pas forcément, parfois vous les déstructurez, c'est très intéressant comme démarche et le musée des Beaux-Arts de Lyon ne s'y est pas trompé...
MR : J'aime bien être original dans ma démarche, et avant tout exprimer ma passion.

D'après "La Tour Eiffel" de Delaunay - Détail d'après "Escale" d'André Lhote - D'après Picasso (dessin - céramique)
Propos recueillis par Martine Dupalais, DCLC, juin 2021
Trois livres recommandés par Michel Redoux :
L'art de la copie, les maîtres d'après les maîtres - Edwart Vignot, Editions Place Des Victoires
Peindre à l'huile aujourd'hui - Amandine Gilles, Eyrolles
Picasso, le Minotaure - Sophie Chauveau, Folio

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