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Effritement des façades de la Presqu'île : usure du temps, pollution ou faute aux ravalements ?

(automne 2008)

Façade du 55 rue de la Charité
Depuis quelques années, on constate une lente dégradation des façades XIXème de la Presqu'île. Peu à peu, des fissures apparaissent, suivies de petits effritements puis ce sont des morceaux de corniches, de balcons, de sculptures voire même des balustres qui tombent sur la voie publique.
« La pierre est un matériau vivant comme le bois, elle doit pouvoir respirer », explique Christophe Chevallier, tailleur de pierre.

Et voilà bien où se situe le problème. Même si les intempéries et la pollution sont à l'origine de certaines pathologies de la pierre, il semblerait qu'à Lyon, nos immeubles souffrent d'un mal plus insidieux.

Monsieur Nugues, directeur technique de la Régie Rosier Modica, nous décrit le processus.
Ces façades bâties en pierres appareillées dans un but décoratif étaient faites pour rester nues, contrairement à celles construites en moellons que l'on recouvrait d'enduit. Avec les années la poussière urbaine s'est déposée jusqu'à masquer la beauté de la pierre. Puis au milieu du XXème siècle, on a commencé à peindre ces façades sans vraiment les avoir nettoyées en profondeur auparavant. Depuis à chaque ravalement on rajoute une strate. c'est la technique du millefeuille. Ces revêtements successifs forment une couche imperméable qui empêche les échanges gazeux de se faire correctement entre l'intérieur et l'extérieur. d'autant plus, souligne Monsieur Nugues, que notre mode de vie a changé, notre consommation d'eau par exemple est beaucoup plus importante que par le passé. La vapeur d'eau reste prisonnière à l'intérieur de la pierre et petit à petit la fragilise. Le gel ne faisant qu'accélérer le processus de délitement.
Monsieur Lamy, responsable des ravalements à la mairie de Lyon, dresse le même constat.
Les immeubles concernés par ce problème datent en majorité de la deuxième moitié du XIXème, ils représentent 50 à 60 % du bâti de la Presqu'île. c'est dire l'étendue du problème !
Beaucoup de ravalements datent des années 1980, malgré l'obligation décennale. Il y a 25 ans, on utilisait à grande échelle des peintures à base de résidus de pétrole et de résine.

Véritable précurseur face à cette problématique dont il a très vite analysé l'ampleur et les enjeux, Jean-François Nugues s'est largement impliqué afin de trouver une solution adéquate, assurant à terme la pérennité de ce patrimoine. Sa démarche a abouti à l'ouverture d'un chantier expérimental pour les Bâtiments de France sur l'immeuble situé rue des Archers. « On assimile toujours ravalement de façade à de la peinture » se désole-t-il, alors qu'aujourd'hui il existe d'autres types de ravalements beaucoup plus respectueux de l'environnement et de la pierre.

Si les professionnels et les institutionnels étaient persuadés de la qualité du projet, il a fallu également convaincre les co-propriétaires, pour lesquels le coût était plus important, du bien fondé de cette démarche.
C'est un travail long et fastidieux que maîtrisent certaines entreprises de ravalements de façades. Dans un premier temps, il faut enlever les anciens revêtements afin de retrouver la pierre naturelle. Pour cela on a fait appel à un chimiste qui a analysé la peinture utilisée afin de déterminer le produit le mieux adapté pour l'enlever.

Ensuite, la pierre en mauvaise état a été reminéralisée. En finition, on passe un badigeon au lait de chaux auquel on ajoute des pigments naturels pour se rapprocher le plus possible de la teinte d'origine. c'est la chaux qui apporte dureté et protection à la pierre tout en la laissant respirer. Parfois le support est tellement dégradé qu'il faut le reprendre. l'intervention de tailleurs de pierre est parfois nécessaire. Cet immeuble a retrouvé sa beauté d'origine, sa riche ornementation est mise en valeur par la couleur de la pierre sur laquelle joue la lumière selon les heures de la journée et les saisons. Pour les propriétaires, c'est un effort financier mais à terme ils s'y retrouveront car la façade restaurée a devant elle une trentaine d'années avant de subir une autre intervention qui consistera à la nettoyer avant de passer un nouveau badigeon.

Le prochain bâtiment concerné par un ravalement « nouvelle génération » devrait être l'immeuble avec la rotonde situé à l'angle de la place des Jacobins et de la rue Confort. Construit au milieu du XIXème siècle, il est sous le coup d'une injonction de ravalement depuis de nombreuses années. Les travaux devraient avoir lieu en 2009.
Il est temps de redonner son éclat à l'un des plus beaux immeubles du « Carré d'or » qui a fait plus parler de lui ces derniers temps à cause de sa dangerosité ( balustre tombant sur la voie publique) que par sa beauté architecturale. Les caryatides qui à l'origine ornaient le soubassement ont déjà été les victimes de ce désintérêt.

Façade du 41 rue de la Charité

Aujourd'hui, même si d'autres façades ont été restaurées selon cette méthode, il ne faut pas que ce soit l'arbre qui cache la forêt. Il devient urgent que les pouvoirs publics réfléchissent aux moyens d'actions à mettre en œuvre afin d'inciter les propriétaires à choisir des modes de ravalement plus respectueux du bâti. Car c'est une véritable lèpre qui touche de nombreux immeubles de la Presqu'île comme vous pouvez le constater sur les photos, et ce ne sont que deux exemples parmi beaucoup ! Le 41 rue de la Charité est en piteuse état mais avec l'immeuble du 55 faisant l'angle avec la rue Duhamel,  on ne peut que déplorer l'absence de prise de conscience  de certains propriétaires.  l'état de la façade est catastrophique, frontons complètement rongés, mascarons disparus, linteaux effondrés. Une entreprise est intervenue afin d'enlever les parties qui s'effritaient et représentaient un danger pour les personnes. Ils ont gratté les pierres qui, on le voit, sont complètement délitées et ont mis une sorte de béton gris pour tenir le tout. Sans parler du côté inesthétique de la chose, il y a fort à parier, malheureusement, que tout le décor sculpté de cette façade disparaisse dans les années à venir.

Fruit d'une réflexion commune entre la ville, l'architecte des monuments historiques et des syndics de copropriétés, la technique utilisée rue des Archers semble être la meilleure solution face aux problèmes de préservation de notre patrimoine urbain, de plus elle s'inscrit également dans une politique de protection de l'environnement avec l'utilisation de matériaux naturels.
« Même s'il n'existe pas pour l'instant de réponse homogène, on connaît le remède » conclut Monsieur Lamy.


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