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Photo Bernard Rousset

Hôtel Dieu : destins croisés - n°1 - janvier 2018


Trois tableaux de Daniel Sarrabat à L’Hôtel-Dieu de Lyon

Moïse sauvé des eaux
Moïse sauvé des eaux
 
En janvier 2012, nous avions fait avec l'association DCLC, une visite en Bresse sur les pas du peintre Daniel Sarrabat (1666-1748) et pu admirer trois tableaux provenant de l'Hôtel Dieu de Lyon, à l'occasion de la rétrospective intitulée « Daniel Sarrabat, l'éclat retrouvé » organisée par le Monastère Royal de Brou, représenté par Benoît-Henry Papounaud, Administrateur et Magali Briat-Philippe, Conservateur, qui en a confié le Commissariat à François Marandet, spécialiste de l'artiste.
À travers cet article, nous vous proposons de revenir sur l'histoire de ces tableaux.
Mais retraçons brièvement la carrière de Daniel Sarrabat. Il naît à Paris en 1666 dans une famille protestante d'horlogers et d'artistes. Il devient l'élève du peintre (et chef d'école) Bon Boullogne (1649-1717). Il obtient en 1688 le Grand prix de l'Académie Royale de Sculpture et de Peinture avec le tableau « Noé, sa famille et les animaux sortant de l'Arche », distinction qui lui ouvre les portes de l'Académie de France à Rome. Il rentre en France où il se fixe à Lyon en 1695 et se marie avec Jeanne Marie de Haynault, fille du peintre Gilles Antoine de Haynault, dont il aura six enfants. Le premier, Nicolas (1698-1737) jésuite, physicien, est le découvreur de la comète de 1769 aussi nommée comète Sarrabat. Son troisième fils, Pierre, né en 1701 devient à son tour peintre. Daniel Sarrabat prend la succession de Thomas Blanchet, peintre officiel de la ville de Lyon, mort en 1689. Elu successivement maître et député des peintres lyonnais en 1697, 1705 et 1721, il est reçu à l'Académie Royale de Peinture et de Sculpture en 1703. Il peint pour de grands négociants et banquiers, comme François Olivier de Senozan mais encore Melchior Philibert et également pour de nombreuses églises, confréries et institutions diverses de la Bresse et du Lyonnais.
C'est ainsi que le dimanche 8 juillet 1731, les recteurs de l'hôpital général de Notre-Dame-de-Pitié et Grand Hôtel-Dieu passent avec Sarrabat « prix-faict » afin qu'il réalise « cinq tableaux et deux dessus de porte » pour être placés « dans le Bureau dudit hôpital », à savoir la salle de réunion des recteurs située au rez-de-chaussée de l'hôpital du XVIIe dit des « Quatre Rangs ». Dans un inventaire de l'Hôtel-Dieu de 1769 quatre dessus de porte sont mentionnés : « la sale(sic) du Bureau est ornée de neuf tableaux tenant à la boiserie peint par sarrabas (sic) et Frontier, les quatre camayeux(sic) représentant La Religion, La Charité, La Douceur et la Prudence, les cinq autres sont Moïse sauvé des eaux, Le Charitable Samaritain, la Piscine, La Belle Mère de Saint Pierre et l'Appel des enfants par Jésus Christ ». Notons que le peintre Jean-Charles Frontier (1701-1763) est cité. Peut-être a-t-il réalisé les deux « dessus de porte » non cités dans le prix-faict, La douceur et la Prudence.
Le Charitable Samaritain
Le Charitable Samaritain
Aujourd'hui seuls trois tableaux subsistent. Il s'agit du Charitable Samaritain, d'après l'Evangile de Luc (10.25-37), scène très souvent représentée par les artistes ; le second, Venez à moi, et je vous soulagerai  tiré de l'Evangile selon Mathieu (11 : 28) se rapporte à la guérison des malades ; enfin, le troisième Moïse sauvé des eaux, est extrait d'un épisode de l'Exode (2, v.1-8). Un quatrième tableau Betshabée au bain sans doute « La Piscine » citée dans l'inventaire, trop détérioré, n'a pu être restauré.
Les recteurs de l'Hôtel Dieu exigèrent que la commande soit honorée pour « la feste (sic) de Saint Martin de l'année suivante » soit le 11 novembre 1732. Si la date du 11 novembre est à l'époque un des temps fort du calendrier pour le commerce, le recouvrement des créances, elle est aussi très symbolique pour l‘hôpital. La célébration de la fête de ce Saint, évêque de Tours (v 313-397) renvoie à une des trois vertus théologales, la Charité, essentielle, s'il en est, dans un Hôtel-Dieu. L'épisode le plus représenté dans son hagiographie est en effet celui du partage de son manteau.
Nous ne savons pas si les sujets des tableaux furent imposés à l'artiste mais ils appellent bien à l'amour du prochain comme le Charitable Samaritain à travers la réponse du Christ au Pharisien : « Allez et faites de même ». En dehors des « camayeux » représentés probablement sous forme d'allégories, les autres sujets sont extraits de l'Ancien Testament et des Evangiles. Rappelons que nous sommes sous l'Ancien Régime, il n'y a donc rien d'étonnant pour que ce type de commande soit passée par un hôpital. Sarrabat reçut « une fois les tableaux placés dans le Bureau, la somme de douze cent livres en un seul versement ».
Ces trois tableaux conservés montrent l'évolution de sa production dont peu d'œuvres subsistent parmi les tableaux dits de chevalet. On y observe en effet son sens de la composition où on sent l'influence de Nicolas Poussin, dans la disposition de ses personnages qui épouse parfaitement le format chantourné ; sa palette colorée aux tons jaunes, ocres, roses ; le soin particulier apporté dans ses drapés et dans le traitement de certains de ses visages. On retrouve ces caractéristiques notamment dans le cycle de Marie-Madeleine de l'église de Thoissey (Ain).
Venez à moi, et je vous soulagerai
Venez à moi, et je vous soulagerai
Daniel Sarrabat va finir sa vie à l'Hôtel-Dieu. Le registre des malades de 1748 mentionne « Sieur Daniel Sarrabat, âgé de 82 ans, natif de Paris, peintre, a été reçu au nombre des pensionnaires de l'Hôtel Dieu en décembre 1746 et y est décédé le 21 juin 1748 ».
Lors de la période révolutionnaire, toutes les œuvres religieuses de l'hôpital furent détruites ou confisquées. Nous ignorons comment ces trois tableaux ont pu échapper à une disparition certaine. D'après des clichés de Blanc et Demilly, photographes à Lyon dans la première moitié de XXe siècle, nous les retrouvons ornant le réfectoire des sœurs Hospitalières. Dans les années 1970, l'historien d'art Daniel Ternois préparant le colloque sur l'Art Baroque à Lyon (27-29  octobre 1972) s'intéressa audits tableaux. Dans le même temps, un brocanteur en fit l'acquisition mais après moult transactions, ils réintégrèrent le réfectoire. Restaurés en 2000 aux laboratoires de Versailles, ils restèrent à l'Hôtel-Dieu jusqu'en 2011 année de la fermeture définitive de l'hôpital. Suite à l'exposition au Monastère Royal de Brou, ils y sont déposés.
Miraculeusement préservés ces tableaux sont aussi un témoignage important pour l'histoire de l'Hôtel-Dieu et ce, particulièrement aujourd'hui, où le destin de cette institution prend un autre tournant. Mais soyez rassurés, grâce à une convention passée entre les Hospices Civils de Lyon et la ville de Bourg-en Bresse, ces trois tableaux de cet artiste du XVIIIe sont maintenant définitivement sauvegardés.
Chantal Rousset-Beaumesnil
Crédit photos : Monastère Royal de Brou - jj. Pauget - Ville de Bourg-en-Bresse
Pour en savoir plus :
« Daniel Sarrabat 1666-1748 », François Marandet, 2011, Monastère Royal de Brou, 122 p.

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