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Photo Bernard Rousset

Hôtel Dieu : destins croisés - n°3 - septembre 2018


Une légende à l'Hôtel Dieu de Lyon

Je suis un sacré personnage dont le destin a croisé celui de l'Hôtel Dieu. Et pourtant, rien ne me destinait à finir à l'hôpital ! Selon le paléontologue Georges Cuvier je suis du règne animalia, de la classe des reptilia, de la famille crocodilidae, je me nomme crocodilus acutus. Je vous fais grâce de la suite de mon état civil et vais vous conter mon histoire extraordinaire.
Le Pont du Rhône
On raconte que j'aurais été placé comme ex-voto - allez savoir pourquoi - dans la chapelle du Saint-Esprit à l'entrée Ouest du Pont du Rhône, notre pont de la Guillotière aujourd'hui, et ce, à la demande d'un explorateur. Mais mon histoire est beaucoup plus passionnante. En témoignent quelques-uns de nos meilleurs historiens lyonnais, particulièrement M. Etienne Dagier en 1830 dans son Histoire Chronologique de l'Hôpital Général et Grand Hôtel-Dieu de Lyon. Alors, vous en conviendrez, on ne peut que le croire.
Il y a donc maintenant près de trois cents ans, après avoir remonté le Rhône, où il paraît, j'aurai semé la terreur et avalé quelques lavandières et quelques mariniers - si, si - je fus capturé en 1745 par deux ex-condamnés à la peine capitale qui se portèrent volontaires pour m'attraper et ainsi obtenir leur grâce. Le combat s'avéra violent, aveuglé par du sable, transpercé par les piques des deux protagonistes - dont curieusement, je ne garde aucune cicatrice - je dus capituler et fus accroché à la voûte de ladite chapelle.
« Ma capture » – dessin M. Andre Ricard (1895-1958)*
« Ma capture » – dessin M. Andre Ricard (1895-1958)*
 
Mais en l'année 1772, on décida la destruction des tourelles sur lesquelles s'appuyait la chapelle. C'est l'architecte Pierre Dubuisson de Christot qui fut chargé de cette opération qui eut lieu en février de l'année suivante. A la suite de cet évènement, un certain Pierre Duret, abbé de son état et chroniqueur à ses heures, parle de mon transport à la nouvelle Manécanterie qui venait d'être construite pour les chanoines comtes de Lyon par l'architecte Marin Decrenice, l'aîné. Ce serait lors d'une visite à la chapelle avec de Christot que les deux architectes décidèrent de mon sort en ces termes : « le crocodile sera mis dans la salle du chapître ».
Les archives municipales possèdent d'ailleurs un document attestant d'un mandement de 144 livres qui leur a été accordé « pour avoir levé le plan et procédé à la visite de la chapelle du Saint-Esprit dans le but de reconnaître si elle pourrait se soutenir dans le cas où on démolirait les tourelles…». Peut-être ai-je fais un court séjour dans cet établissement qu'était la Manécanterie. Je ne m'en souviens pas même si les carnets de l'abbé, consultables à la BM de Lyon, semblent l'attester.
En revanche, le dôme Soufflot, de son petit nom le « grand dôme », fut pour moi un service de long séjour puisque j'y suis resté suspendu, par le ventre, pendant presque 200 ans ! D'aucuns, comme le Docteur Jacques Rougier, lors d'une conférence dans le cadre de l'Histoire de la Médecine, il y a quelques années, décrivant avec émotion l'incendie de 1944, ont pensé que j'avais bel et bien disparu lors de cette tragédie. Que nenni ! Car Marcel Colly, archiviste des Hospices et conservateur, m'avait déjà recueilli et installé dans une des salles du musée ouvert dans l'hôpital en 1936. Il le relate dans un article de notre quotidien régional Le Progrès en novembre 1956. J'ai eu de la chance, je n'ai donc pas terminé en grillade !
D'abord présenté sur une table, mais livré aux incivilités de visiteurs indélicats, on décida - encore - de me suspendre à un plafond, cette fois-ci par le dos, dans la salle dite de l'apothicairerie de l'ex-hôpital de la Charité. On m'attribua alors un matricule, il s'agissait tout simplement de m'inventorier, j'étais devenu un objet de collection !
Petite précision, je suis une importation d'Amérique, selon « les experts ». Crododilus acutus, acutus signifie en latin pointu et fait référence à la particularité de mon museau et de mon espèce. Sachez qu'avec seulement mes 2.40 m de longueur je suis un bébé, mes congénères adultes pouvant atteindre une taille de 7 mètres ! Enfin, je ne suis qu'empaillé. Du Nil j'aurai sans doute été embaumé …
C'est ainsi que jusqu'en l'an 2010, je vivais heureux, ravi d'être le principal objet de curiosité, particulièrement pour les enfants, dans ce cabinet de pharmacie reconstitué. Aujourd'hui, le vieil hôpital et son musée ont définitivement fermé leurs portes. Moi je suis « dans les réserves ». Probablement ma dernière demeure. Dommage, j'aurai bien refait surface dans la Cité de la Gastronomie … pour en croquer quelques-un(e)s.
Alors, comme les internes des hôpitaux de Lyon dont je suis le symbole depuis 1924 et qui ont donné mon nom à leur fameux bulletin, je compte sur vous, gens de DCLC, pour perpétuer mon souvenir afin que le crocodile de l'Hôtel Dieu de Lyon et son histoire légendaire ne tombent jamais dans l'oubli.
« Une dynastie d’internes » – dessin Melle Camille Vincent (1896-1974)*
« Une dynastie d’internes » – dessin Melle Camille Vincent (1896-1974)*
 
Chantal Rousset-Beaumesnil
* Reproductions de deux dessins d'anciens internes, parus dans la Revue du Crocodile, avec l'aimable autorisation du Professeur Patrice Queneau, membre de l'Académie de Médecine, Président de l'Association de l'Internat de Lyon.
AGIL – Association Générale de l’Internat de Lyon Internat (Bâtiment 18)
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