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Les métiers du Patrimoine : l'atelier de restauration de tableaux Vicat-Blanc

Installé depuis 1987 dans une petite rue du plateau de la Croix-Rousse, l'atelier Vicat-Blanc cache des trésors qui vont retrouver toute leur splendeur entre les mains expertes des restaurateurs.
Au sein de l'atelier règne une organisation parfaite où chacun est spécialisé dans un domaine très précis. Une équipe s'occupe du support, une autre ensuite de la couche picturale.
Comme l'explique Colette Vicat-Blanc, la formation d'Etat de restaurateur de tableau a été mise en place très tardivement, à la fin des années 1970. Auparavant, on apprenait directement dans un atelier auprès d'un maître qui transmettait son savoir, parfois empirique.
Depuis, l'Institut National du Patrimoine (INP) que l'on intègre sur concours forme les futurs restaurateurs dans sept domaines différents (Arts du feu, céramique et verre - sculpture - peinture - photographie - mobilier - textiles - arts graphiques et livre) au cours de cinq années d'études. A la fin de leur cursus, ils obtiendront le diplôme qui permet d'intervenir sur des œuvres classées M.H.
Colette souligne l'importance de la polyvalence dans sa formation: « A l'école rien n'est laissé au hasard, il faut non seulement de solides connaissances scientifiques, en physique-chimie, en histoire de l'art mais également de solides bases de dessin ».
Elle a intégré l'INP après 4 ans d'école des Beaux-Arts où elle a acquis la base de la formation en copiant des tableaux : « Il faut comprendre une œuvre de l'intérieur, c'est l'expérience qui apporte également la connaissance. En dehors de la restauration il est important de comprendre leur histoire. Par exemple, une reprise ancienne que l'on identifie par le style, indique qu'on a voulu à une époque « les mettre à la mode ».

La restauration : tout un art dans un cadre bien défini

Pour Colette et Gérard, ce qui différencie les métiers du patrimoine des métiers d'art, c'est la déontologie. Le restaurateur intervient sur l'œuvre d'un autre en respectant l'œuvre et l'artiste dans un cadre bien défini et dirigé par un comité de pilotage.
Les bases de ce cadre juridique et technique ont été élaborées par Césare Brandi (1906-1988). Juriste de formation, historien de l'Art, il fondera, en 1939, l'Institut central de restauration de Rome (ICR) où de nombreux restaurateurs français ont été formés. Son travail et sa réflexion sur la conduite que doit avoir le restaurateur face à une œuvre d'art aboutiront à la publication de sa Théorie de la Restauration, en 1963. Cette dernière ouvrira la voie, l'année suivante, à la Charte de Venise (Traité international sur la conservation et la restauration des monuments et des sites).
Les règles qui régissent aujourd'hui la profession ont été adoptées le 11 juin 1993 lors de l'assemblée générale de la Confédération Européenne des Organisations de Conservation-Restauration (E.C.C.O.), "La restauration consiste à intervenir directement sur des biens culturels endommagés ou détériorés dans le but d'en faciliter la lecture tout en respectant autant que possible leur intégrité esthétique, historique et physique."
Pour ce faire, l'E.C.C.O a instauré un code éthique (modifié lors de l'AG de mars 2003 à Bruxelles) et définit le rôle du restaurateur ainsi que ses missions (examen diagnostique, traitement de conservation et restauration ainsi que la documentation de ses interventions).

Une méthodologie appliquée scrupuleusement

« Tout d'abord il faut faire un constat d'état », explique Gérard qui intervient en premier dans la restauration, « Pourquoi cette œuvre est-elle en déséquilibre ? ».
Elle peut présenter, par exemple, des écaillages, des cassures dont les causes peuvent être extérieures : eau, vernis. « Chaque tableau est un cas particulier ».
Il faut alors se livrer à une véritable enquête en faisant « parler le tableau » notamment avec des méthodes scientifiques comme la radiographie, la réflectographie à l'infrarouge qui met en évidence le dessin sous-jacent ou encore l'examen au stéréomicroscope (grossissement jusqu'à 40 X). L'étude préalable est très importante.
Pour une huile sur toile il existe des milliers de variantes possibles, il faut donc étudier les altérations, l'aspect technique. La qualité de la toile peut également donner des indications, particulièrement la manière dont elle a été préparée à l'origine.
La seconde phase consiste à dé-restaurer, il faut enlever ce qui a été rajouté au cours du temps, les restaurations, parfois arbitraires, les vernis successifs.
Alors seulement commence la restauration proprement dite, toujours réversible et dans le respect de l'œuvre.
En ce moment, une équipe de l'atelier Vicat-Blanc travaille sur deux grands projets de restauration. D'une part la restauration de quatre tableaux provenant du musée des Beaux-Arts de Valence, et d'autre part celle des cartes de chartreuses.

Les tableaux du Musée des Beaux-Arts de Valence

En mars 2011, la ville de Valence a lancé un marché pour la restauration de quatre grandes peintures représentant des scènes de la vie du Christ. Le CICRP (Centre Interrégional de Conservation et de Restauration du Patrimoine) est retenu et la restauration, financée par la Fondation BNP Paribas dans le cadre de son programme « BNP Paribas pour l'Art », est confiée à l'atelier Vicat-Blanc. Datés du début du XVIIème siècle, ces quatre toiles de grand format proviennent du monastère des Récollets de Romans sur Isère. Elles décoraient probablement le réfectoire des moines si l'on en juge par la thématique de la nourriture présente sur chacune d'entre elles : « Jésus tenté par le Démon et servi par les Anges », « La multiplication des pains », « La pêche miraculeuse » et « Jésus et la Samaritaine ». Ces quatre tableaux ont été achetés par un particulier au début du XXème siècle qui, après les avoir proposé à l'archevêché qui n'avait pas les fonds nécessaires pour les acquérir, les a vendus au musée des Beaux-Arts de Valence en 1911. Ils sont remarquables dans le détail où une foule de choses apparaissent : les architectures, des petits personnages et surtout l'omniprésence de fleurs, de fruits comme les fraises des bois.

Une fois le tableau dé-restauré, des parties grises apparaissent où il y avait des bleus.

Cela est dû au pigment utilisé : le bleu de Smalte, moins cher, mais qui s'altère avec le temps. On constate toutefois qu'il se conserve mieux avec du blanc comme on peut le voir sur le tableau « Jésus et la Samaritaine » qui a déjà été restauré plusieurs fois. La première fois dès la fin du XVIIème siècle, puis au XIXème siècle comme en témoigne l'utilisation du bleu de Prusse qui apparaît en 1860 et enfin au début du XXème. Entre temps, comme les trois autres, il a fait de longs stages roulé dans de mauvaises conditions de conservation ce qui explique les rayures sur la toile. Les pigments utilisés permettent de dater les œuvres ainsi que les restaurations successives. Le jaune et le vert de chrome sont très tardifs par exemple. Le jaune d'origine étant le jaune de Naples ou les ocres.
Cette restauration est suivie par un comité de pilotage composé de conservateurs, de scientifiques et de restaurateurs. Les décisions se prennent collégialement.
Une fois restaurés, ces tableaux réintégreront les collections permanentes du musée des Beaux-Arts de Valence, dans le cadre de sa réouverture en 2013, où ils seront présentés dans la dernière salle du nouveau parcours de visite.

Les cartes de Chartreuses

Datées du XVIIème au XIXème siècle, les cartes de Chartreuses représentent un ensemble de soixante-dix-neuf toiles retrouvé en 1987 auquel il convient d'en ajouter deux autres découvertes récemment portant leur nombre à quatre-vingt-une.
A l'époque de la construction du monastère de la Grande Chartreuse, fin XVIIème siècle, Dom le Masson, prieur général de l'ordre cartusien, commence un véritable inventaire des maisons de l'ordre en faisant réaliser des vues en perspective cavalière des différents monastères. Classées M.H en 2001, ces cartes témoignent de l'extension de l'ordre qui comptera plus de deux cent cinquante maisons en Europe.
Une vaste campagne de restauration a été lancée en l'an 2000, coordonnée par l'A.R.C.C (association pour la restauration des cartes de chartreuses) fondée à cette occasion. Mais chaque année, il faut à nouveau trouver des fonds publics ou privés pour continuer cette restauration ambitieuse. En effet, pas moins de cinq équipes de restaurateurs travaillent sur ces toiles de grands formats (220 X 180 cm) sauf deux plus petites, révélant peu à peu leur valeur historique inestimable pour la connaissance du patrimoine cartusien d'autant plus que certaines de ces vues sont les seules représentations de monastères disparus. On remarque que les factures sont très différentes d'une carte à l'autre car elles ont été exécutées par des artistes locaux. Si le plan architectural cartusien impose la construction d'ermitages autour d'un grand cloître, elles sont enrichies des styles régionaux. Certaines fourmillent de détails décoratifs, les plus belles étant celles d'Italie, telle la chartreuse de Padoue, avec la représentation de cyprès, végétation typique de la région, les maisons des chartreux avec leur galerie de promenade, le décor de pots à feu au dessus des portails.
Le musée de la grande Chartreuse, rénové en 2011, leur a consacré un espace particulier, la galerie des cartes, où est expliqué, entre autres, le magnifique travail des restaurateurs.

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