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Photo Bernard Rousset

Hôtel Dieu : destins croisés - n°2 - juin 2018


La statue d'Amédée Bonnet : dernier témoin de la médecine à L'Hôtel Dieu de Lyon

La première étape de la reconversion de l'Hôtel Dieu est maintenant achevée. De nombreuses cours du bâtiment sont dorénavant ouvertes au public. L'une d'entre elles accueille aujourd'hui la statue d'un grand médecin Lyonnais, Amédée BONNET, qui nous rappelle que ce magnifique bâtiment fut pendant près de huit siècles un lieu essentiel de la médecine.
Amédée BONNET naît à Ambérieu en Bugey le 19 mars 1809. Brillant élève au Collège de Belley, il passe ses baccalauréat es-lettres en 1825 à Lyon et es-sciences en 1826 à Grenoble. Puis, sur les traces de son père Joseph Bonnet (1760-1839), il s'oriente vers la médecine. Après une année préparatoire à Lyon on le retrouve externe des hôpitaux de Paris en 1828 et, l'année suivante, interne, major de promotion. Il n'a que 19 ans. Pendant toutes ces années parisiennes, il collabore avec le célèbre Trousseau auprès des enfants malades et publie avec lui de nombreux mémoires. A la fin de son internat, il soutient sa thèse « Recherches sur quelques points de physiologie et pathologie, tels que la surdité, les luxations, le mouvement des côtes, le siège des rhumatismes». Il se présente ensuite au concours de chirurgien major de l'Hôtel Dieu de Lyon et sera nommé le 28 mai 1833 à 24 ans, le majorat à Lyon durait alors 18 ans.
Mais c'est en avril 1834 qu'Amédée Bonnet se distingua particulièrement auprès des Lyonnais pendant la « sanglante semaine » du 9 au 15 avril, lors de la deuxième révolte des canuts qui fit près de 300 victimes. Un des principaux foyers de l'insurrection se trouvait aux Cordeliers où les blessés étaient évacués par leurs camarades dans l'église Saint-Bonaventure. Amédée Bonnet, informé de la situation, quitta son poste, bafouant le règlement de l'Hôtel Dieu, au risque de se faire révoquer, et se porta au secours des insurgés. C'est Aimé Vingtrinier, historien lyonnais, son ami et éditeur, qui décrit cette scène surréaliste dont voici un extrait :
« A la première barricade, il fit de grands signes et appela. Des fusils s'élevèrent au-dessus des chariots renversés près à tirer. Un dialogue s'instaura alors entre le Docteur Bonnet et les manifestants :
      - Avez-vous des blessés ?
      - Oui pourquoi ?
      - Avez-vous des médecins ?
      - Non, personne.
      - Voulez-vous les soins du Major de l'Hôtel Dieu ?
      - Oui venez, il ne vous sera fait aucun mal ».
Pendant deux jours, inlassablement, le Docteur Bonnet vécut « dans cet enfer » soignant sans relâche les blessés dont certains seront d'ailleurs évacués à l'Hôtel Dieu. Lorsqu'un bataillon voulut assiéger l'édifice, Amédée Bonnet sortit au péril de sa vie et s'adressa aux soldats : « Arrêtez ! C'est ici une ambulance et nul n'a la droit d'y entrer, il n'y a là que des blessés. Dans toutes les batailles, blessés et infirmiers sont sacrés ».
Amédée Bonnet fut un travailleur acharné. Il continua d'assurer les soins dans son service de près de 400 lits à l'Hôtel Dieu et occupa, après sa nomination en 1839, et pendant près de 20 ans, la chaire de Professeur à l'École de Médecine. Tous venaient suivre ses cours magistraux sur l'anatomie pathologique, ses cours de clinique et ses exposés de fin d'année sur sa pratique chirurgicale. Grand esprit scientifique, il vouait un culte à la science. Son but étant de faire progresser la médecine et la chirurgie, il consacra sa vie à étudier pour leur connaissance et leur perfectionnement. Personnalité admirée, il fut surnommé par ses pairs « le Soleil ».
Considéré comme le « novateur de la chirurgie des maladies articulaires », il mène des recherches pionnières dans ce domaine et publie très tôt de nombreux ouvrages comme Méthode à suivre pour arriver à la connaissance et au perfectionnement de la chirurgie  (1838),   Traité des sections tendineuses et musculaires (1841). Il acquiert ainsi une réputation internationale notamment avec son Traité des maladies des articulations  qui paraît dès 1845 et qui lui vaut d'être nommé Chevalier de la Légion d'Honneur et d'avoir droit, lors de ses obsèques, à la présence d'un piquet de vingt-cinq hommes d'infanterie commandés par un officier pour lui rendre les honneurs militaires.
Précurseur, et particulièrement attaché au bien-être de ses patients, il imagine de nouveaux traitements comme l'utilisation de la ponction et l'injection d'iode antiseptique pour éviter les amputations. Soucieux des infections, il utilise la cautérisation. Pour une rééducation plus efficace, il invente également de nouveaux appareils de mobilisation pour membres lésés. Enfin, contre l'avis de certains de ses confrères, il introduit à l'Hôtel Dieu l'anesthésie à l'éther expérimentée à Boston en 1846. Mais la réputation d'Amédée Bonnet dépasse le milieu médical. C'était aussi un esprit littéraire, un philosophe, un humaniste qui soulignait l'importance des lettres et de la science dans l'éducation. Correspondant de l'Institut, il est élu à l'Académie des Sciences, Belles Lettres et Arts de Lyon en 1847.
À l'automne 1858, il ressent les premiers symptômes de la maladie qui allait l'emporter, une affection de la moelle épinière. Il achève ce qui sera son dernier ouvrage  Méthodes nouvelles de traitement des maladies articulaires. Dès que les Lyonnais eurent connaissance de sa maladie, Amédée Bonnet fit l'objet de nombreuses manifestations de sympathie. La plus spectaculaire est sans doute celle du Gouverneur de Lyon le Maréchal de Castellane qui, afin que l'illustre malade termine ses jours dans le calme, fit joncher de paille les chaussées des rues avoisinant la place Bellecour, où Bonnet résidait, non loin du quartier général, pour atténuer le bruit sabots des chevaux et supprimer les sonneries journalières des clairons. Il décéda le 1er décembre 1858 à l'âge de 49 ans.
La ville entière, déjà ébranlée par la mort, un mois plus tôt, d'un autre chirurgien de renom Joseph Gensoul, dont Amédée Bonnet fut l'élève, pleura le grand médecin. Pour comprendre l'émotion suscitée par le décès d'Amédée Bonnet, il suffit de lire les propos tenus dès le lendemain de sa mort dans la presse : Le Courrier de Lyon « cruelle perte », La Gazette de Lyon « perte irréparable », Le Salut Public « sa mort est un malheur public », La Gazette hebdomadaire de Médecine et chirurgie « la nouvelle de cet évènement …. a été considérée à Lyon comme une calamité publique et a produit une grande émotion à Paris ».

Photo Bernard Rousset
 
Les obsèques d'Amédée Bonnet eurent lieu le 4 décembre en l'église Saint-François-de-Sales à Lyon. En dehors des proches, un cortège « de près de 4000 personnes » suivait le convoi mortuaire : « magistrats de la cité, chef de l'armée, notabilités de la science, des arts, des lettres, des sociétés savantes, le clergé, la magistrature, le barreau, l'industrie et le commerce » le monde médical et, bien sûr, les Sœurs et Frères hospitaliers dont il avait été le chef de service à l'Hôtel Dieu, ainsi qu'une foule d'anonymes. Lors de la cérémonie funéraire au cimetière de Loyasse ses confrères, à travers leurs discours, lui témoignèrent reconnaissance et affection.
Pour assurer et perpétuer sa mémoire, un buste en marbre fut quelques temps plus tard placé dans le grand dôme de l'Hôtel Dieu, entre ceux de Claude Pouteau (1725-175) et Marc-Antoine Petit (1766-1811) deux autres chirurgiens lyonnais renommés et un Prix Bonnet  « pour contribuer à l'encouragement de la jeunesse qui se destinait aux hôpitaux » fut attribué aux lauréats du concours de l'internat des hôpitaux de Lyon. Constitué dans un premier temps d'une trousse contenant 12 instruments de chirurgie, il fut transformé en bons d'achat d'ouvrages scientifiques et s'interrompit dans les années 1980.
Mais, dès le jour des funérailles, l'idée d'élever un monument, symbole d'une reconnaissance méritée, fut émise et fit l'unanimité. Une souscription publique est lancée à Lyon, en France et à l'étranger. La Commission créée dans ce but récolta plus de 24 000 francs, les dons les plus modestes provenant « d'humbles malades reconnaissants » s'élevant à 3 francs. Pour réaliser la statue, on fit appel au sculpteur et médailleur, son homonyme, Guillaume Bonnet (1820 - 1873) déjà célèbre à Lyon pour avoir orné notamment l'opéra et le palais de la Bourse.
Le 2 juillet 1862 eut lieu l'inauguration de la statue dans la cour Saint-Martin de l'Hôtel Dieu en présence des notables de la ville, notamment du Préfet Waïsse et du monde médical. Amédée Bonnet est représenté en pied, dans sa robe de Professeur en Médecine. La sculpture en bronze haute de 2.50 m a été fondue à Paris dans l'atelier Charnod Ferdinand & Fils. Elle est érigée sur un piédestal en marbre de Crussol (Vivarais), de même hauteur, en forme de pyramide tronquée sur lequel est gravée la dédicace.
Alors, en traversant l'Hôtel Dieu, arrêtez-vous un instant devant la statue visible aujourd'hui dans la cour qui porte le nom de place Amédée Bonnet, côté rue Bellecordière, et ayez une pensée pour cet éminent médecin, ce grand maître de l'Ecole lyonnaise, d'un caractère profondément humain, dont l'œuvre scientifique permit, dans ce siècle de bouleversements qu'a été le XIXème, de faire des progrès considérables dans l'art de la médecine et de la chirurgie.
Chantal Rousset-Beaumesnil

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