04_guerre14.php
Photo Bernard Rousset

Hôtel Dieu : destins croisés - n°4 - novembre 2018


La Grande Guerre - l'Hôtel-Dieu "hôpital de l'arrière"

Nous allons commémorer le 100ème anniversaire de l'armistice de 1918. Le conflit naquit après l'attentat de Sarajevo le dimanche 28 juin 1914 à l'encontre de l'héritier de l'empire austro-hongrois, l'archiduc François Ferdinand et son épouse. Il va embraser toute l'Europe avant de devenir mondial. Le 2 août 1914 l'ordre de mobilisation est affiché, le lendemain, l'Allemagne déclare la guerre à la France.
Il est difficile, voire impossible d'imaginer aujourd'hui le rôle important qu'a tenu l'Hôtel-Dieu de Lyon "hôpital de l'arrière" pendant la Première Guerre Mondiale. Ce qu'a été son activité, à quels drames, espoirs et difficultés, cet hôpital séculaire a été confronté. Cet article non exhaustif a simplement pour but de vous donner un aperçu du rôle qu'a eu le vieil hôpital pendant ces terribles années.
UNE SITUATION NOUVELLE
En France, le Haut Commandement était persuadé que cette guerre allait être de courte durée, elle dura quatre ans. Quant au Service de Santé Militaire, se référant à l'expérience des conflits précédents, il pensait que la plupart des blessures seraient dues aux balles de petits calibres occasionnant des lésions minimes et peu d'infection. Le déroulement des évènements allait s'avérer totalement différent. 14-18 fut en effet une guerre industrielle qui vit l'émergence d'armes nouvelles : mitrailleuses, grenades, lances flammes, artillerie lourde, canons, chars d'assaut, etc. sans oublier les gaz asphyxiants, provoquant des blessures multiples et gravissimes. Par ailleurs, les conditions sanitaires et d'hygiène déplorables particulièrement dans les tranchées – froid, boue, déchets de toutes sortes - entraînent le développement de pathologies comme le typhus, le choléra, la typhoïde mais surtout, l'infection des plaies avec leurs complications septiques. Or, les personnels de santé n'étaient pas formés pour répondre à ces nouvelles conditions de médecine de guerre. Ils durent s'adapter très vite.
L'ORGANISATION SANITAIRE À LYON ET LE RÔLE DE L'HÔTEL-DIEU
Au seuil de la Première Guerre Mondiale, le territoire français est divisé en plusieurs régions militaires. Lyon et les départements limitrophes constituent la XIVème Région. Située loin des combats, mais sur l'axe majeur du chemin de fer P.L.M., elle va apporter une contribution capitale par le soutien sanitaire. Sous l'égide de Justin Godard, sous-secrétaire d'Etat du Service de Santé Militaire, des formations sanitaires vont s'organiser pour accueillir les blessés. Deux hôpitaux militaires sont déjà sur Lyon, Desgenettes et Villemanzy. À partir du 5 août, la coordination avec l'Autorité Militaire et la prise en charge des blessés sont confiées au pouvoir de Théodore Diederichs, Président du Conseil des Hospices Civils de Lyon (HCL). Un délégué militaire est également désigné en la personne d'Alexandre Lacassagne, médecin légiste, succédant au Professeur Louis Hugounencq initialement nommé. Ses qualités de tact et de modération vont favoriser pendant quatre ans la collaboration entre l'Administration des HCL et l'Armée, notamment sur les attributions respectives de chaque partie.
Anticipant les difficultés pour assurer les soins, les HCL demandent la mobilisation sur place de leur personnel, notamment médical. Le Haut Commandement refusa. Le 2 août, l'Hôtel-Dieu se vide pratiquement de ses agents mobilisés. Le service médical des HCL comptait auparavant 294 membres, il n'en restera que 53 après la mobilisation dont 9 chirurgiens et 19 médecins. Le service de santé a dû donc se réorganiser : rappeler des médecins retraités, employer des étudiants en médecine, former de nouveaux soignants, faire appel à des infirmiers bénévoles. Cependant, les chefs de service montrèrent un dévouement admirable sachant que parmi eux, la plupart occupaient des fonctions dans d'autres établissements ainsi que des fonctions militaires. À titre indicatif, à l'Hôtel-Dieu, les services de chirurgie des professeurs VILLARD, TIXIER ET BERARD passèrent respectivement de 68, 56, 68 lits à 296, 296 et 253 lits. Ces trois médecins furent d'ailleurs rappelés aux armées en juin 1916. La charge de travail était considérable et la situation était souvent critique.
À partir du 12 août, l'Hôtel-Dieu réquisitionné "hôpital militaire" ne reçoit plus de malades civils sauf à la maternité et au service de porte. Le 25 août les derniers malades civils sont dirigés vers l'Antiquaille, l'hospice du Perron et celui des vieillards de la Guillotière. Suite à un appel de l'administration, 639 lits seront d'emblée proposés par des particuliers mais peu seront utilisés car inadaptés aux exigences médicales. Toutefois, pour répondre aux besoins de soins de la population, des lits non occupés par des militaires seront réservés aux civils en fonction de l'évolution du conflit. Mais dès le début, l'Hôtel-Dieu mit à la disposition des autorités militaires 1244 lits. L'afflux de blessés est tel qu'il fallut réquisitionner des établissements transformés en "hôpitaux complémentaires" et "auxiliaires" comme l'asile Ste Eugénie, le couvent des Minimes, le lycée du Parc, la salle rameau, la Bourse etc. pour ne citer qu'eux. L'hôtel-Dieu devient "hôpital distributeur" et ces annexes, au nombre de 23, lui sont rattachées administrativement. Un Bureau Militaire chargé d'orienter les blessés en fonction de leur état et un Service Central de Renseignements pour répertorier tous les blessés traités dans les hôpitaux de la ville, sont mis en place. Enfin, pour faire respecter le règlement est créée une police militaire formée d'un piquet d'infanterie de huit hommes.
L'ÉVACUATION, LE TRANSPORT ET L'ACCUEIL DES BLESSÉS
Arrivée d'un blessé - cliché Favre
Arrivée d'un blessé - cliché Favre
Dans un premier temps, les vagues de blessés arrivent dans les "hôpitaux de l'arrière", sans diagnostic individuel, sans avoir reçu de premiers soins efficaces, évacués du front dans de mauvaises conditions de transport et d'hygiène. L'importance d'une prise en charge précoce devient urgente au Ministère de la Guerre. Des "postes de secours avancés" sont aménagés et des personnels formés pour apporter les premiers soins. Le triage des blessés nommé "catégorisation des blessés" s'avéra prépondérant. Quatre groupes sont définis : les "intransportables" ; les "inévacuables" nécessitant la présence d'un corps médical expérimenté sur le front ; les "évacuables sur zone" traités au poste de secours du bataillon et les "évacuables sur l'intérieur" comme vers l'Hôtel-Dieu. Il faudra toutefois attendre 1917 pour que le Ministère règle définitivement ce mode de sélection en le confiant à un chirurgien : « Le triage doit être fait par des chirurgiens de carrière qui prendront la responsabilité de s'opposer au transport et à l'évacuation des blessés jugés intransportables ou inévacuables ».
Transport de blessés - dessin G.A PIC
Transport de blessés
dessin G.A PIC
Les convois de blessés arrivaient à Lyon, dans les gares de Vaise, des Brotteaux et de Perrache transformées en infirmeries. Ceux orientés sur l'Hôtel-Dieu sont transportés par tramway ou voitures automobiles au n° 61 du quai de l'hôpital où ils attendaient en plein air "si le temps le permettait" avant d'être affectés dans un service de soins. À compter de septembre 1914, "en raison des frimas" les tramways s'arrêtent au 47 du quai de l'hôpital, les blessés pouvant être dirigés directement dans une salle commune "chauffée" située côté quai : la salle Pasteur. C'est dans la nuit du 21 au 22 août 1914 qu'arriva le premier convoi de 268 militaires à l'Hôtel-Dieu accueillis par tout le personnel, sous le contrôle de Joseph Eugène BRIZON, administrateur des HCL, supervisant la répartition. Au 30 août 1914, l'hôpital avait déjà reçu et réparti dans ses hôpitaux annexes, près de 700 militaires blessés ou malades. Avant la guerre, l'Hôtel-Dieu et la Charité ne possédant qu'un parc de véhicules restreint constitué principalement de voitures hippomobiles, ils s'équipèrent rapidement de voitures et fourgons supplémentaires pour le transport des blessés, du matériel et du ravitaillement. Dès septembre 1914, Lyon devint un centre d'assistance de premier ordre portant la capacité d'accueil à près de 20 000 lits.
SOINS DES PLAIES DE GUERRE : L'ÉVOLUTION DES TECHNIQUES ET LES PIONNIERS LYONNAIS
Le manque d'hygiène, la mauvaise alimentation provoquent des pathologies diverses menaçant de décimer les troupes. Pour la première fois, des mesures prophylactiques vont être mises en place. C'est au cours de cette période que l'on verra apparaître l'utilisation à grande échelle de la vaccination notamment celle anti-typhoïdique rendue obligatoire par une loi du 28 mars 1914. Mais une des préoccupations majeure de la médecine de guerre sera de régler la prise en charge et le traitement efficace des plaies pour lutter contre les phénomènes infectieux. Au cours de cette période on assistera à une évolution des techniques d'asepsie et d'antisepsie.
L'ASEPSIE - L'Hôtel-Dieu avait depuis le XIXème siècle été précurseur en matière d'hygiène avec des médecins comme Amédée Bonnet. Il n'a donc pas été difficile de s'adapter aux nouvelles règles strictes d'asepsie mises en application pour prévenir les maladies infectieuses : isolement des salles d'opération avec désinfection à l'hypochlorite de soude ou de chaux ; utilisation des autoclaves "Poupinel" pour stériliser le matériel ; pour les seringues en verres, utilisation de l'éther, du formol ou de l'alcool ; désinfection du linge et des pansements à la vapeur d'eau et au formol. Enfin, pour les personnels, obligation du lavage des mains jusqu'au coude et éventuellement port de gants.
L'ANTISEPSIE - Suite aux travaux du biologiste Albert Policard, médecin à l'hôpital Desgenettes, confirmant l'infection des plaies dès la douzième heure avec pour issue la gangrène gazeuze, ayant pour conséquence l'amputation voire la mort, une prise en charge rapide et adaptée va être préconisée. La méthode la plus employée sera celle de "Carrel-Dakin". Le chirurgien Alexis Carrel et le chimiste anglais Henry Drysdale Dakin avaient mis au point une technique de drainage consistant à utiliser un antiseptique pour éviter la prolifération de microbes pathogènes, par l'instillation continue dans la plaie d'une solution d'hypochlorite de sodium "le soluté de Dakin". Alexis Carrel avait initié cette méthode à l'hôpital complémentaire de Compiègne. Recommandée par les autorités militaires, elle permettra une révolution marquante dans le traitement des plaies de guerre. Elle sera bien sûr appliquée dans le service du Professeur Léon Bérard à l'Hôtel-Dieu où Alexis Carrel avait été affecté.
LA TRANSFUSION SANGUINE - En dehors de l'infection des plaies, les blessures, particulièrement celles causées par les éclats d'obus, occasionnent d'abondantes hémorragies. Le "garrot règlementaire" s'impose sur la zone de combat. Mais peu à peu le traitement du choc hémorragique doit recourir à la transfusion sanguine. En 1900, le médecin et biologiste autrichien Karl Landsteiner détermina le principe du groupe sanguin. Découverte majeure pour régler les problèmes d'incompatibilité. Mais persistent les problèmes de coagulation après prélèvement. Un médecin belge le Docteur Albert Hustin trouve le moyen de conserver le sang quelques temps grâce au citrate de soude. Mais les nécessités de la chirurgie de guerre au front comme dans les hôpitaux, rendent difficile l'application de cette technique. Ce sont principalement des transfusions de bras à bras qui seront les plus employées.
À l'Hôtel-Dieu, un premier cas, dont les journaux se firent largement l'écho, est réalisé par le Docteur Carrel le 18 octobre 1914. Après un séjour à New York en septembre, il reçut du matériel et put former un personnel compétent. Le premier donneur, le Docteur Gélibert, beau-frère d'Auguste et Louis Lumière, permit de sauver un soldat du nom de Raviot, du 256è d'Infanterie, victime d'une grave hémorragie. L'appel aux donneurs par l'administration des hôpitaux fut largement entendu. L'Hôtel Dieu fit néanmoins signer à chaque donneur une décharge ainsi libellée: « Je soussigné … déclare volontairement et de mon plein gré me soumettre à l'opération de la transfusion de sang au profit des blessés militaires en traitement à l'Hôtel Dieu ou dans tout autre établissement dépendant de l'Administration des Hospices Civils de Lyon. En conséquence, je déclare décharger ladite administration de toute responsabilité de quelque sorte que ce soit à raison des suites de cette opération dont j'accepte toutes les conséquences dans une pure pensée de patriotisme et de dévouement envers nos soldats blessés ». Peu utilisée jusqu'en 1917, la transfusion sanguine deviendra courante ensuite.
LA RADIOLOGIE - Développée suite à la découverte des rayons X en 1895, la radiologie va s'avérer précieuse pour le corps médical.
Examen radio – cliché Lumière
Examen radio – cliché Lumière
L'armée et les hôpitaux disposent au début des hostilités de moyens restreints. Marie Curie est chargée par les Services de Santé Militaire de développer la radiologie médicale ambulante avec des voitures radiologiques, les fameuses "petites curies" et d'organiser la formation de manipulateurs. Dès août 1914, des équipages de radiologie se portèrent sur le front avec des appareils permettant de repérer la présence de balles, éclats, corps étrangers et diagnostiquer des fractures. Les hôpitaux s'organisent également. À Lyon, le conseil d'Administration décide l'achat en février 1915, pour le service du Professeur Bérard à l'Hôtel-Dieu, d'une table d'opération dite «table de Wuillermoz» avec dispositif radioscopique, pour un coût total de 3600 francs. Le Pr Bérard prit à sa charge la moitié de la dépense. Auguste Lumière, ancien administrateur des HCL, créa à l'Hôtel-Dieu un service de radiologie et fournit gratuitement le matériel de radiographies.
L'ANESTHÉSIE - La généralisation de l'anesthésie va s'imposer. Le chloroforme, le chlorure d'éthyle et l'éther sont employés à l'aide du masque conçu en 1908 par le chirurgien français Louis Ombredane, seul appareil d'anesthésie par inhalation alors utilisé dans les hôpitaux comme l'Hôtel-Dieu. Ce n'est que lors de l'entrée des USA dans le conflit à partir de mars 1917, qu'interviendra le protoxyde d'azote plus connu sous le nom de "gaz hilarant". Mais pour les blessés de la face, afin d'éviter le port du masque difficilement supportable pendant l'intervention, vont être utilisées de nouvelles techniques d'intubation buccale ou nasale.
Les progrès en radiologie et anesthésie vont directement être liés à l'évolution d'une nouvelle discipline : la chirurgie maxillo-faciale.
LES GUEULES CASSÉES ET LA CHIRURGIE MAXILLO-FACIALE
Ce sont les fondateurs de l'Association de l'Union des Blessés de la Face et de la Tête (U.B.F.T) créée en 1921 par trois survivants et blessés de la face, qui se donnèrent le nom de Gueules Cassées. Pour la financer, une souscription nationale fut lancée "La dette" ainsi que l'établissement des 10ème de la loterie nationale.
C'est en effet pendant la Grande-Guerre que les services de santé furent mis en présence pour la première fois à un nombre élevé de blessés de la face. Ces blessures s'avérant très spécifiques, le Service de Santé des Armées va devoir organiser dans chaque région des services spéciaux en chirurgie maxillo-faciale, prothèses, ophtalmologie.
À Lyon, c'est au docteur Albéric Pont que Justin Godard confie dès l'automne 1914 et pendant quatre ans, un des premiers centres de stomatologie et de chirurgie maxillo-faciale de France, installé au 9 quai Jaÿr, appelé "l'hôpital complémentaire 19", complété par des "Annexes". Il permettra le développement de cette nouvelle discipline, favorisée par la collaboration entre la chirurgie et la prothèse, initiée par un autre médecin lyonnais Claude Martin, dentiste à l'Hôtel-Dieu. Toujours dans le même but, soit la prise en charge rapide des blessés sur le lieu des combats, et pour éviter les complications ultérieures, Albéric Pont va concevoir une trousse d'urgence à utiliser pour immobiliser les mâchoires fracturées.
Moulage coll A. Pont - Musée HCL
Moulage coll A. Pont
Musée HCL
Il convenait ensuite de reconstruire les visages et restaurer les fonctions détruites. Les pertes de substances osseuses vont être traitées par greffes cartilagineuses, ostéo-périostiques. Pour les substances tégumentaires, on pratique l'autoplastie, un des progrès chirurgicaux majeur durant la Guerre de 14-18. Mais lorsque la chirurgie s'avère impuissante, l'usage de prothèses devient nécessaire. En complément des prothèses en céramique, vulcanite ou celluloïd, réalisées à Lyon dans les services de l'Ecole dentaire, lourdes et inesthétiques, Alberic Pont invente une pate spéciale pour confectionner des prothèses de nez et d'oreilles, plus légères. Ce sont plus de 7000 blessés de la face à qui Albéric Pont et ses équipes vont rendre leur identité. Albéric Pont sera à l'origine du service de chirurgie maxillo-faciale installé après 1918 à l'Hôtel-Dieu.
E. Rollet et son électro-aimant
E. Rollet et son
électro-aimant
Un autre médecin lyonnais se distingua particulièrement pour les blessés de la face, le professeur de clinique ophtalmologique Etienne Rollet, un des premiers à employer les rayons X pour détecter la présence de corps étrangers. En 1910, il avait mis au point un électro aimant géant pour extraire des éclats métalliques des yeux des ouvriers métallurgistes de la région lyonnaise. Il en fit la démonstration à l'exposition universelle de Lyon de 1914, et utilisa ensuite cet appareil pour l'extirpation de fragments de projectiles des yeux des blessés. Médecin colonel, affecté à Desgenettes et à l'Hôtel Dieu en avril 1915, le Dr Rollet va diriger le centre national d'ophtalmologie de la XIVe Région, examiner et soigner près de 72 000 militaires atteints de blessures aux yeux.
La Grande-Guerre verra près 500 000 blessés de la face. Et c'est paradoxalement, grâce à eux, à ces Gueules Cassées, que la chirurgie réparatrice de la face va se développer.
Quant aux grands blessés des membres, la prise en charge par les hôpitaux consiste, en dehors des soins, en de nombreuses techniques et appareillages de contention. Pour ceux qui n'ont pu échapper à l'amputation la pose de prothèse (bras articulés, mains) s'avère indispensable. En 1916, une prothèse de la main élaborée par Louis Lumière sera fabriquée en 5000 exemplaires. Pour permettre à ces mutilés une réinsertion professionnelle, sous l'impulsion du maire Edouard Herriot, le premier centre de rééducation et de réadaptation fonctionnelle voit le jour à Lyon en novembre 1914, rue Rachais, d'autres suivront.
Enfin, il convient de souligner les troubles qu'ont engendrés ces combats entraînant psychoses et névroses. Bon nombre de blessés furent contraints de retourner sur le champ de bataille une fois soignés, certains à plusieurs reprises. De nombreuses "affections simulées" apparaissent, certains soldats allant jusqu'à se mutiler ou s'auto infecter bien que l'issue, pour ceux démasqués, pouvait être le passage par les armes. Il faut savoir qu'une des missions très délicate du Service de Santé Militaire « était la récupération des malades et blessés au profit des armées ». Le médecin se trouvait souvent désemparé devant la détresse du soldat ne voulant pas retourner dans "cet enfer" et la volonté des autorités militaires de le renvoyer au combat. C'est au cours de ce conflit que des progrès dans le traitement des blessures de guerre d'ordre psychologique apparurent.
En dehors de l'importance de la qualité des soins prodigués dans les hôpitaux comme l'Hôtel-Dieu, tout soutien et réconfort moral n'était donc pas vain.
Noël à l'Hôtel-Dieu - cliché Favre
Noël à l'Hôtel-Dieu - cliché Favre
SOIGNER LE MORAL
L'institution pris ainsi en considération l'importance de redonner espoir à tous ces blessés, malades et mutilés, et organisa des divertissements, autant que faire se peut, dans cette période troublée. Pour fêter Noël 1914, un sapin fut dressé dans la salle Pasteur et les poilus eurent droit à une distribution de chocolat et de cigarettes. 
Visite de R. Poincaré - cliché Favre
Visite de R. Poincaré - cliché Favre
Des matinées cinématographiques avec concerts sont organisées par M. Louis (collaborateur d'Auguste Lumière au service de radiologie de l'Hôtel-Dieu). Quelques artistes de renom vinrent prêter leur concours. Pour en citer quelques-uns, le 6 novembre 1914, le barde Théodore Botrel vint chanter dans la salle du Grand-Dôme. Le 29 novembre on fit appel à un ténor, Marius Verdier. On vit également le chanteur d'opérette Félix Mayol, la soprano Marguerite Carré. Gaston Beyle, ténor de l'Opéra-comique entonna la Marseillaise lors d'une cérémonie de remise de distinctions militaires, le 17 avril 1915. Les officiels participèrent à leur manière à redonner le moral aux soldats. On vit entre autres, dès les premiers mois, le Président de la République Raymond Poincaré,
Moment de détente - cliché Favre
Moment de détente - cliché Favre
en visite à Lyon les 11 et 12 septembre 1915 remettre des décorations aux poilus dans une des cours de l'Hôtel-Dieu ; le chirurgien Victor Augagneur, ministre de la marine.
Enfin, pour rompre l'isolement des soldats l'Economat de l'Hôtel-Dieu reçu et distribua près de 5000 lettres, colis et autres mandats.
Citons aussi l'initiative d'une infirmière bénévole, Mme Farge, qui constitua une collection unique de photographies de soldats prises lors de leur arrivée, dans les salles de l'Hôtel-Dieu, ou au cours des différentes cérémonies. Reproduites en cartes postales, elle les distribua aux blessés et leur famille.
LE DÉVOUEMENT DES SŒURS HOSPITALIÈRES, DES INFIRMIÈRES, DES BÉNÉVOLES
Insistons aussi sur le rôle qu'à tenu la communauté des sœurs hospitalières. Les "cornettes blanches" au nombre de 237 en 1900 à l'Hôtel-Dieu, ne se contentèrent pas de se dévouer dans les services de soins, les cuisines, la blanchisserie, la pharmacie. Avec beaucoup d'abnégation, elles apportèrent inlassablement aux soldats blessés et malades compassion, consolation et encouragements. Certaines ne furent pas épargnées par cette tragédie. Comme sœur Merck née en Allemagne dans le duché de Bade en 1871 qui fit son noviciat à l'Hôtel-Dieu et munie du diplôme d'infirmière devint cheftaine. Lorsqu'en novembre 1915, les permis de résider sont retirés aux personnes d'origine austro-allemande, elle dut se réfugier en territoire neutre à Saint Gall, en Suisse.
Plusieurs de ces hospitalières ont été emportées par la terrible grippe qui frappa Lyon dès octobre 1918.
Evoquons également toutes ces infirmières, bénévoles, œuvrant aux côtés des médecins sous couvert de la Croix-Rouge ou de l'Union Hospitalière de France, qui jouèrent un rôle important non seulement dans les soins mais aussi, comme les sœurs hospitalières, par leur dévouement au service des blessés.
INTENDANCE : DIFFICULTÉS D'UN "HÔPITAL DE L'ARRIÈRE" 
Mais on ne peut se représenter l'activité de l'Hôtel Dieu sans parler des difficultés multiples de gestion auxquelles l'hôpital eut l'obligation de s'acquitter.
La plupart du personnel des services généraux étant mobilisé, l'Hôtel-Dieu a dû, comme pour le corps médical recruter et former. Puis il s'est vite avéré impératif pour l'hôpital, tout en répondant à la nécessité de soigner, d'endiguer le flot des dépenses. Très tôt en effet se manifeste la raréfaction des produits de premier plan à laquelle s'ajoutèrent des problèmes d'approvisionnement.
Cela entraîna une augmentation des dépenses et fit flamber le prix de journée. Devant cet état de fait, l'Hôtel-Dieu appliqua des mesures de restrictions et de rationnement en conformité avec les arrêtés et décrets ministériels et les décisions du Conseil d'Administration. Il imposa également un contrôle sévère sur l'utilisation des denrées et objets non indispensables au bon fonctionnement de l'hôpital. Mais la cherté des denrées allant croissant, des différents portant sur le montant du prix de journée, soit 3,50 francs, accordé par l'Autorité Militaire et jugé insuffisant, se firent jour. Une convention est alors passée entre les autorités militaires et les HCL pour y remédier.
L'hôpital dût effectivement pallier rapidement le manque de denrées alimentaires de base. Le corps médical préconisait, pour redonner des forces à tous ces blessés souvent très affaiblis, des rations plus substantielles que pour les civils. Les militaires recevaient entre autre 350 gr de viande et 500 gr de pain par jour. Les voies ferrées étant réquisitionnées par l'armée, le transport du bétail et s'avéra très problématique. Pour les produits de boulangerie, les autorités durent faire appel à l'Amérique en 1915 et aux Indes en 1917 pour faire face à la pénurie de blé. L'hôpital décida donc de rationner, voire supprimer les rations certains jours, particulièrement pour les civils hospitalisés. Mais une multitude d'autres produits de toutes sortes, essentiels au bon fonctionnement d'un l'hôpital, savon, combustible, essence etc. ont donc cruellement manqué.
La pharmacie de l'Hôtel-Dieu, comme les autres services, suppléa à l'absence de son personnel et eut pareillement à souffrir de l'approvisionnement et de la raréfaction des matières essentielles. Par exemple le sucre, indispensable aux préparations pharmaceutiques ou le miel qu'on remplaça par des succédanés moins coûteux.
Autres complications, les produits tels que la glycérine phénique, le brome, l'huile de ricin, la farine de moutarde et de lin entrant dans la composition de médicaments mais réquisitionnés par l'armée pour la fabrication d'explosifs et autre gaz asphyxiant.
Il en va de même pour les produits d'herboristerie notamment certains opiacés comme la coca que fournissait l'Amérique, le transport des denrées exotiques n'étant autorisé qu'après celui de celles primordiales à la vie économique du pays.
Quant aux produits chimiques d'un usage fréquent tel que la plupart des alcaloïdes provenant principalement d'Allemagne, ils deviennent introuvables.
On imagine aisément les problèmes que durent résoudre les services pharmaceutiques de l'Hôtel-Dieu et ses annexes pour satisfaire aux demandes pressantes de médicaments.
Mais malgré ces désagréments, pendant toute la durée des hostilités, l'hôpital a su répondre à la première mission qui était la sienne : SOIGNER. Il s'attacha aussi à apporter un soutien à la population démunie et désemparée. Dès le 12 août 1914, l'administration procéda à la distribution de "soupes hospitalières" destinées surtout à ceux dont le chef de famille était mobilisé. Sur la présentation d'un "ticket de soupe" (vendu 1franc le carnet de 10 tickets) plusieurs hôpitaux comme l'Hôtel-Dieu préparent et proposent matin et soir une soupe composée de lait, bouillon, pâtes alimentaires, légumes et 80gr de pain. Cette démarche cessa à partir du 1er octobre 1915 grâce à l'attribution d'aides publiques gouvernementales et locales.
La solidarité et les bonnes volontés ne manquaient donc pas, à Lyon bon nombre de personnalités, particuliers, communautés, apportèrent leur concours aux hôpitaux. On peut citer la contribution financière d'Auguste et Louis Lumière qui se monta à 260 000 francs. En reconnaissance, une salle de l'Hôtel-Dieu portera le nom d'Andrée Lumière, fille d'Auguste, décédée à 24 ans de la grippe en 1918. Quant aux sœurs hospitalières, elles offrirent leur soutien à "l'effort de guerre" en versant, dès 1915, tout leur or à la Banque de France soit 90 000 francs.
N'OUBLIONS PAS
Rappelons quelques chiffres terribles sur 7 932 000 français mobilisés, on comptait au 1er juin 1919 : 1 527 040 morts, 3 500 000 blessés et 1 100 000 revenus invalides. Comme si cela ne suffisait pas, les Services de Santé seront confrontés dès l'automne 1918 à la pandémie de grippe qui entraîna le décès de 30 200 soldats.
Territoire de l'arrière, Lyon fut une véritable "ville-hôpital". L'Hôtel-Dieu sut répondre aux énormes besoins sanitaires qu'impliqua la Grande-Guerre grâce à la qualité des soins, au dévouement de son personnel. En 1914, il enregistre 5320 entrées de soldats blessés ou malades. Ce chiffre s'éleva à près de 7000 en 1918. Pourtant la mortalité se révéla relativement faible. À partir du 8 octobre 1919, plus aucun militaire n'est hospitalisé à l'Hôtel-Dieu. Soulignons que c'est aussi grâce à l'esprit novateur de son corps médical que l'Hôtel-Dieu participa aux évolutions majeures de la médecine et de la chirurgie de guerre.
En 2004, l'ancien musée de l'Hôtel-Dieu avait rendu un émouvant hommage aux Gueules Cassées à l'occasion d'une exposition en présentant moulages, appareils, prothèses, photographies, etc, provenant de la collection d'Albéric Pont, témoignant de l'atrocité de cette guerre qui se devait être la "Der des Ders".
En cette année 2018, le 100ème anniversaire de l'Armistice est l'occasion de nous souvenir de ceux et celles, militaires, civils, qui se sont dévoués, sacrifiés qui ont survécu ou qui sont morts pour la Patrie. Avec cet article, notre association participe ainsi à ce devoir de mémoire.
Chantal Rousset-Beaumesnil

Retour à la rubrique