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Photo Bernard Rousset

Hôtel Dieu : destins croisés - n°5 - septembre 2019


Les filles repenties de l'hospital de Notre-Dame de Pitié du pont du Rosne - 1ere partie

« L'hostel dieu et le pont du Rosne » - Extrait - plan scénographique Lyon v.1550 - Archives Municipales de Lyon
« L'hostel dieu et le pont du Rosne »
plan scénographique Lyon v.1550
Archives Municipales de Lyon
Les plus anciens documents décrivant l'Hôtel Dieu du XVIème siècle sont l'ouvrage paru en 1539 chez Sébastien Gryphe « La Police de l'Aulmosne de Lyon » et le plan scénographique de 1550 sur lequel on distingue un édifice imposant, flanqué d'un cloître et de bâtiments annexes. Mais c'est principalement grâce aux Actes Consulaires de la ville que nous pouvons retracer l'histoire des « filles repenties » à l'origine de la communauté des sœurs hospitalières.
C'est en effet en 1478 que l'hôpital fondé au XIIème siècle est transmis à la municipalité, c'est-à-dire au Consulat, cette institution lyonnaise née en 1320 avec la charte Sapaudine pour contrer les pouvoirs de l'archevêque et des chanoines du chapître. Elle est composée de douze notables de la ville, élus, renouvelés chaque année, appelés Consuls Echevins. Le Prévost des marchands en est le premier magistrat, nommé par le roi. Le Consulat procéda d'emblée à la restauration et l'agrandissement de l'hôpital et en confia la gestion à François de Genas, général des finances du Lyonnais.
LYON VILLE PROSPÈRE À LA RENAISSANCE

« Une imprimerie au XVIe siècle »
extrait Encyclopédie Larousse
Située sur un axe majeur de circulation des marchandises et des hommes tant par voie terrestre que fluviale, Lyon, ville fortifiée, possède de nombreux ports le long de la Saône. Les quartiers occupés sont principalement la Presqu'île avec sa voie principale, la Rue Mercière ; la colline de la Croix-Rousse, quelques maisons dans les faubourgs de la Guillotière et de Vaise. Myrelingues, comme la nommait François Rabelais, va bénéficier d'un essor économique considérable dès le début du XVe siècle dû notamment au Dauphin, le futur Louis XI, qui initia en 1463 les foires franches ainsi que la création de manufactures de soie. Grâce à l'imprimerie introduite dès 1473 par Barthélémy Buyer, l'édition lyonnaise devient la troisième en Europe. Lyon rayonne avec une élite cultivée : Dolet, Marot, Champier, Daleschamp, Sala, Scève et bien d'autres. Le dynamisme et la croissance de la ville vont s'accentuer sous le règne de François 1er. Riches commerçants, banquiers viendront alors s'installer dans la cité.

« Les marchands de soie  »
extrait de l'ouvrage La chronique de Nuremberg 1493
L'ENVERS DU DÉCOR

Estuve
Toutefois cette situation ne doit pas cacher qu'une grande partie de la population vit dans une extrême indigence. Et un des fléaux souvent lié à la misère est la prostitution. Lyon n'y échappe pas. L'activité économique apporte richesses mais aussi son lot de détresses et la prostitution s'installe dans la cité au gré des évènements notamment les quatre foires annuelles. La municipalité entretient les « prostibulum publicum », baillés à ferme et dirigés par une abbesse. On les trouve dans le quartier des marchands, dans la paroisse de Saint-Nizier. Citons également les fameuses estuves, ces bains publics où la prostitution est interdite mais qui bénéficient d'une grande tolérance, celui du quai de la pêcherie est particulièrement réputé. L'expression « allez à l'estuve » prenait un sens très particulier.
Pour lutter contre cette prostitution, quoi de mieux que de faire appel à la repentance ! On sollicita un moine franciscain, Jean Tisserand, qui avait fondé à Paris le couvent des filles repenties. Célèbre pour son éloquence, ses sermons « terrifioit tellement les pêcheurs qu'il réduisit à la repentance et convertit à la pénitence plus de cent paillardes publiques à Paris ». En décembre 1516, un autre prédicateur, Thomas Illyricus, célèbre lui aussi pour ses prêches publics, vint à Saint-Bonaventure et fit également se repentir de nombreuses filles « tombées dans le péché ».
Si au Moyen-Age l'hôpital relevait plus de l'hôtellerie et de l'asile accueillant voyageurs, et « pauvres passants », à partir du XVème siècle on trouve la mention de malades fiévreux et contagieux. Une femme seulement est alors affectée à l'effectif de l'hôpital du Pont du Rosne, une certaine Estiennette qui reçoit des fonds du Consulat . En 1493, elles sont au nombre de trois. Mais face à l'évolution démographique le Consulat doit recruter du personnel et, dès 1502, François de Rohan, archevêque de Lyon propose d'affecter les premières « filles repenties » pour se dévouer aux malades.
LES « REPENTIES » À l'HOPITAL
Dans un premier temps, elles furent logées dans la maison de Benoît le Barbier, contiguë à l'hôpital puis un bâtiment dans l'enceinte de l'établissement fût destiné à recevoir jusqu'à 25 repenties « mises au service du Grant hospital du Pont du Rosne pour éviter qu'elles n'aient occasion de recheoir en péché ». A leur tête est nommée pour trois ans une Supérieure appelée « mère » chargée de les surveiller. Au début, les repenties firent preuve de constance et de bonnes intentions mais cela s'avéra difficile pour certaines d'entre elles dont la conduite resta quelque peu scandaleuse. Le Consulat, devant ces débordements, dut édicter un règlement très strict.
Les portes de l'hôpital étaient closes le matin pour éviter qu'aucun étranger n'y pénètre, les filles repenties servaient alors les malades pendant une heure puis étaient « resserrées » dans le bâtiment qui leur était alloué. L'hôpital est ouvert aux visiteurs jusqu'au repas du soir, on referme ensuite les portes afin qu'elles s'occupent à nouveau des malades et regagnent leur dortoir où elles restent enfermées. Seules, trois ou quatre d'entre elles « parmi les plus vertueuses » dorment dans le « grand corps » de l'hôpital pour subvenir aux besoins des malades, surveillées toutefois par une « matronne ». Quant à leur repas, les cuisines leur étant interdites, on leur distribuait la nourriture par une fenêtre spéciale aménagée dans un mur de leur bâtiment.
Mais toutes ces mesures ne décourageaient pas les intrus. En l'année 1520, les Consuls durent faire exhausser le mur de l'hôpital et enfermèrent au cachot quelques-unes des filles « parmi les plus terribles ». Au sein même du personnel de l'hôpital la présence de filles repenties causait quelques troubles. Ainsi, lorsqu'une dénommée Claude de Damas céda aux avances de l'aumônier, Pierre Bouchier dit Carnificis, elle fut cloîtrée dans une chambre murée au sein de l'hôpital « avec des tournevans pour luy bailler a manger ». Pierre Bouchier, fut simplement congédié. En cas de manquement à leur devoir, le sort des repenties s'avérait lui épouvantable.
Même les mères en qui au demeurant les Consuls avaient accordé leur confiance et qui avaient prêté serment de bien servir et d'être loyales, ne dérogeait pas à la désobéissance. En l'année 1543, Hilaire et Coronée, venues du couvent des filles repenties de Paris, abusant de leur fonction « vendaient les effets de malades décédés, donnaient à des particuliers vin, viande destinés aux malades et offrirent à des jacobins, cordeliers et autres lais festins et danses ». On confia alors à un certain Antoine Valloyre dit Beguin… la mission de les raccompagner au monastère des filles repenties de Blois.
L'essentiel des revenus de l'hôpital provenant de dotations est consacré à l'administration, seule une faible partie est dévolue aux malades. Les repenties participaient donc à leur entretien. Dès les premiers recrutements, en 1502, deux repenties « parmi les plus discrètes » furent chargées de « faire la quête dans la ville avec un âne pour leur nourriture et celle des malades ». Les mères qui avaient en charge les biens des malades, les vendaient en cas de décès et restituaient les sommes perçues au profit de l'hôpital. En 1537, la mère Griffonne remet à l'hôpital « 49 écus et deux florins provenant d'un lansquenet décédé ». Les consuls recevaient également différents dons. En 1539, Le Veneur, Grand Aumônier du Roy offre « dix ecus d'or sol par aumône pour fournir aux frais de la réception de honnête fille Jeanne Gorelle, fille de feu Antoine Gorrel a laquelle a été baillé jeudi 17 août l'habit des sœurs repenties dudit hopital ».
L'HABIT DES REPENTIES
Un habit particulier est imposé aux nouvelles recrues. Dès 1504, on fait « prendre l'habit à cinq prétendantes estans et servans presentement à l'Hostel-Dieu avec les filles repenties à savoir à la Griotte, à la Julianne, à l'Andrée et deux autres ». Le 17 janvier 1523 la mère Aymée fait serment devant les Consuls et déclare que 16 filles repenties ont « pris l'habit ». Par délibération du 8 juillet 1526, le Consulat décide que les nouvelles « servantes hospitalières » porteront à l'avenir : « une robe simple et cotte blanche avec une ceinture de fil blanc ; un voile de toile blanche non empesée retenue par une lanierette entourant le cou ; des souliers assez couverts de quatre doigts pour le moins ; des chausses de drap blanc ou de toile blanche ; un tablier de grosse toile blanche et des manches de drap ou de fustane blanc ; le tout sans fourrure apparente ni superfluité ».
Sous l'administration protestante qui dura un an à partir du 22 octobre 1562, les « sœurs servantes », comme on les appelle alors, portent « une robe noire sans bord, le plus simplement que faire se pourra, avec chacune un devantier de toile blanche et, au lieu des grands couvrechefs qu'elles portent présentement, des couvrechefs non empesés comme les femmes simples de la ville ». En 1573, on revient à une tenue blanche. Les comptes de l'hôpital mentionnent l'achat « du drap blanc pour habiller les religieuses dud. Hostel dieu à raison de quatre aunes de drap chacune ». Le costume va évoluer en fonction des évènements. On verra que dans les siècles futurs, le même phénomène se produira.
MEDECINE, FLEAUX ET EPIDEMIES A LA RENAISSANCE
Galien (v130 – 210 ap. JC –)
Galien (v130 - 210 ap. JC)
Les malades de l'hospital du Pont du Rosne provenaient pour la plupart de la paroisse de Saint-Nizier mais lors des foires annuelles par exemple l'hôpital recevait de très nombreux étrangers qu'il convenait de soigner correctement. Par ailleurs, de 1478 jusqu'à la fin de la Renaissance française, le royaume de France verra défiler plusieurs monarques dont la politique ne manquera pas d'impacter la ville de Lyon, guerres d'Italie, guerre de religion, rivalités diverses, etc. et l'hôpital devra alors accueillir nombre de soldats blessés.
La théorie des humeurs - Extraits encyclopédie Larousse
La théorie des humeurs
Extraits encyclopédie Larousse
Si la Renaissance voit naître de grands courants réformateurs en médecine et chirurgie, la théorie des humeurs du maître de Pergame, Galien, est encore appliquée et les soins se limitaient principalement en purges, lavements, saignées et en l'administration de remèdes confectionnés selon les trois règnes : végétal, animal et minéral. Dès 1528, les Consuls avaient nommés Hector de la Trémoille, médecin, et Symon de Beaulieu, apothicaire. L'apothicairerie « prenait la place d'un lit » mais malgré sa taille réduite « était bien fournie », alimentée par les « Espiciers et Appoticaires de ladicte ville de Lyon ». Quant à la chirurgie, elle consistait notamment en l'opération de la cataracte, au débridement des hernies, à l'incision d'anthrax et aux soins de plaies ouvertes. Le premier barbier-chirurgien de l'hôpital, nommé en avril 1529, fut Benoit Duclozet.

Pots de pharmacie
LES TACHES DES FILLES REPENTIES
Nous n'avons pas de détails concernant les tâches dévolues aux filles repenties mais nous pouvons les imaginer nettoyant et changeant régulièrement « les paillasses dont étaient confectionnés les lits » dans la grande salle commune située à l'étage où femmes et hommes sont répartis de chaque côté, avec « six rancs de couches, avec chaslietz de noyer, le dessus de tappisserie, tous nects, blancs & bien accoustrez », les femmes enceintes et les vénériens étant accueillis dans les bâtiments annexes de l'hôpital. Les repenties assistaient les malades pour la toilette, les repas ; lavaient linge et pansements ; participaient à tous les travaux d'entretien : lessivage des sols, évacuation des seaux d'aisance. Certaines sans doute aidaient à la distribution des remèdes préconisés par le médecin qui effectue sa visite le matin entre 5 et 6 heures.
Tâches ingrates pour la plupart, considérables lors des épidémies. Si en 1523, on recense « 80 malades au lit » dans le grand corps de bâtiment et « 9 enfants au berceau », en 1580, on comptabilise 258 malades. Nombre probablement dû à la grippe qui sévit cette année-là et qui avait déjà ravagé toute l'Europe en 1557. Lyon, carrefour important, était en effet très vulnérable en période de contagion. En ce XVIème siècle, le Lyonnais sera touché par la peste qui devint endémique. Les pestiférés sont toutefois dirigés à l'hôpital Saint-Laurent-des-Vignes. Quelques filles repenties seront d'ailleurs atteintes. Bien d'autres épidémies ont sévi à Lyon : la rougeole, la variole ; la dysenterie due au problème de contamination de l'eau, fort vecteur de maladie, Lyon ne possédait alors que 20 puits publics ; le scorbut touchant principalement les enfants et le fameux « mal des ardents » ou ergotisme. François Rabelais en 1534 fit remplacer le seigle par du froment pour la confection du pain pour les malades.
Même le climat eut des conséquences désastreuses sur la santé de la population. Les archives de la ville évoquent dès le début de l'année 1504 une vague de chaleur et « plusieurs milliers d'âmes qui moururent » par manque d'eau. Les fortes pluies qui suivirent entraînèrent à leur tour mauvaises récoltes et disette. Ce XVIème siècle qui nous semble si florissant sera en effet marqué en pays Lyonnais par de grandes famines. Rappelons l'épisode de la Grande Rebeyne en 1529 et la disette des années 1586-87 qui fut d'ailleurs précédée par une épidémie de peste. Les guerres, enfin, qui mettent en contact soldats et population, seront propices au développement de maladies. Dès la fin du XVème, la syphillis qu'on appelait grosse vérole ou encore mal de Naples se propagea et s'avéra foudroyante et meurtrière. Face à de telles pandémies, les filles repenties devaient s'afférer auprès d'un nombre accru de malades avec probablement un manque d'hygiène important, l'hôpital pouvant, dit-on, coucher jusqu'à quatre malades par lit.
Ces épidémies, ces fléaux eurent un impact économique et social pour la cité. Le nombre des filles repenties va varier selon les besoins et les moyens de l'hôpital. Parallèlement, plusieurs personnes offrirent très tôt leurs services pour se dévouer aux malades, faisant don de leurs biens à charge d'être entretenues par l'établissement. C'est ce que fit dès 1498, une certaine Peronnette Barbier. Viendront s'ajouter après 1534, les « adoptives de l'Aumône Générale ». En 1583, il ne reste plus que 8 « filles repenties ». Les Consuls vont cesser leur recrutement et peu à peu, viendront veuves, femmes mariées à la « conduite irréprochable » appelées « Chambrières », « Données » ou « Sœurs servantes ». A partir des années 1550, les consuls avaient d'ailleurs souhaité ne plus utiliser le terme de « filles repenties » mais « servantes des pauvres », « desservantes hospitalières ».
Un document d'archives de 1559 nous donne un aperçu de ce que sera la future communauté de celles qu'on nommera jusqu'à nos jours « les sœurs hospitalières » : « Que l'Hôtel-Dieu garde pour servir les pauvres malades, 18 ou 20 religieuses habillées aux dépens du dit Hôtel Dieu ; qu'il y a une qu'on nomme Mère, qui est la maîtresse, et à laquelle toutes les autres obéissent ; qu'elles ont le réfectoire où elles mangent, le dortoir où elle couchent, etc… et pour gages, elles ont la Grâce de Dieu, et auront paradis à la fin ».
Alors ayons encore une pensée envers ces « servantes des pauvres », Aimée, Griffonne, Coronnée, Hilaire, Guilhère, Cicille, Prestemaude, à qui l'on avait promis une vie meilleure après leur repentance mais qui s'avéra, à n'en point douter, très dure et laissons derrière nous cette période de la Renaissance. C'est le 11 janvier 1583 que les Consuls Echevins vont à leur tour confier l'administration de l'hôpital à six notables lyonnais qui prirent le nom de Recteurs. Cette période de gestion de l'Hôtel Dieu par le Rectorat dura jusqu'à la Révolution. Elle fera l'objet d'un prochain article.
Chantal Rousset-Beaumesnil

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